mercredi 6 avril 2022

Attendre 2 ans, puis revenir à cause d'un Petit Frère

Le rêve américain, par ici, on n’y a jamais rien compris: la France rock ne s’est jamais remise de son syndrome 60’s post-G.I si bien résumé par Lucien, le débonnaire héros banané de Margerin, quand seul Kebra, l’antihéros cradingue ultraviolent de Tramber et Jano reflétait, lui, vraiment, ce qu’était la réalité de « notre Amérique à nous », celle (déjà) des banlieues merdiques, des allumeuses camées en mini-jupes et des squats jonchés de mégots ; et voilà qu’entre deux hordes de fans obsessionnels du Dieu-homme-loup récemment décédé qui paradent sur les Champs-Elysées cramponnés aux franges d’un guidon de Harley achetée en concessionnaire Yamaha comme si l’Equipée Sauvage était née à Marvejols, on se re-tarte nos vieux pastiches rock’n roll, le trublion Julien Doré réhabilitant Dick Rivers en tête d’une escouade bobo avide de (faux) loosers tandis que la désespérante cohorte d’affreux chanteurs de l’écurie TF1 fait la queue pour pousser la chansonnette avec papy Schmoll avant que celui-là n’arrive plus à se teindre la rouflaquette tout seul.

Même si le rock-blues US reste, et restera essentiellement ce D.I.Y qui prévaut partout dès qu’on s’éloigne d’MTV et de la nauséabonde Trump-bluegrass (forcément, dans un pays vaste comme un jeu vidéo où les concepts d’artiste, d’intermittence, d’affres de la création et de subventions publiques sont aussi obscurs qu’une capitale européenne à placer sur une carte (Yannick Jadot, si tu nous regardes…) il ne reste qu’à se démerder tout seul si l’on veut espérer se nourrir du résultat d’une addiction quasi-traditionnelle à la six-cordes née dans une arrière-cour qui sent le steak froid), ici, le F.L.T.M (Fais-Le-Toi-Même) est resté l’apanage des punks rouennais (qui l’on fait très bien, ceci dit) ou des rastas drômois en pantalons de treillis farcis de pilules (qui l’ont fait moins bien).

Du coup, quand on parle de D.I.Y en France, c’est pas vraiment du mood semi-clodo des Deep States. Ca ressemble plutôt à un truc arty poseur faussement antisystème, horriblement élitiste et carrément francilien: « indie », quoi…. C’est assez vite oublier que l’hexagone compte son propre lot de rednecks en jeans et que parmi eux, une part non-négligeable continue de zieuter avec amour de l’autre côté de l’Atlantique comme le fit papy en son temps, non plus à la recherche d’un Twist ou d’un titre Motown à faire adapter par Jean-Loup Dabadie, mais à l’affût d’une odeur de carcasse de mobil-home, d’un skate-park fissuré, d’une arrière-cour avec garage ou d’un château-d’eau vide un peu trop penché : en gros, de cette vibration originelle ayant autrefois lié le Nouveau Continent à l’Ancien, et qui permit de faire naître par exemple, de nos propres terres méridionales, des choses aussi incroyables que Thousand & Bramier (ah, ce « Go Typhoon » !) ou Kill The Thrill (ah, ce « 203 Barriers » !) sans que l’on n’ait besoin de se demander d’où pouvait venir ce son génial si ce n’était des US itself, tant cela ne ressemblait en rien à ces horribles productions françaises reniflant la (mauvaise) copie ampoulée : ces gars réussissait simplement à être (et à faire) « en même temps » et « côte-à-côte », au lieu de faire « après » et « comme ». Le dénominateur commun de ces types-là ? Une modestie à toute épreuve, une discrétion maladive, et l’impression d’être ici comme ils pourraient être à peu près de n’importe où ailleurs de dur, de caniculaire, d’âpre, d’aveuglant et d’horizontal. Jullien Arniaud est de cette même trempe, le genre de gars qui ne choisit pas ses fringues mais qui se contente de les mettre, la tête à autre chose. 

A constituer des trios maudits, par exemple. Celui de la comète The Host1, sorti de nulle part avec un stoner cradasse ayant tapé dans l’œil de Ken Stringfellow (The Posies, REM, Lagwagon…) avant d'accoucher d’un "vrai" album puis de splitter dans les règle de l’art  ; celui portant actuellement à bout de bras le superbe virage pop-bluesy de l’ex jeune star de la french-country Big Rock, devenu désormais Lekø2 après un passage avorté à The Voice (tenté de façon délicieusement improbable avec une reprise de Zac Brown totalement hors-format) ; celui très séduisant mais éternellement confidentiel de January Sons3, sa pop-folk minimaliste faussement détachée pourtant calibrée pour les ondes. A celui de Brother Junior, pour finir. Celui où il est devant, cette fois pour de vrai.

Entamé avec deux ferrailleurs réunis sous le patronyme de Bald Eagles sur un 1er EP sidérant, abandonné sur le bas-côté entre deux carcasses blanchies par les vents, voilà que Jullien Arniaud ressort le trio Brother Junior du sable chauffé à blanc, étincelant comme au premier jour avec ce nouveau line-up constitué du faux débonnaire Jean Greco à la basse et de l’impressionnante Julie Blasco à la batterie, et instantanément, la magie de ce Sud fracassé de lumière, de saleté et d’odeurs de bord de mer souillé réopère, jetant cette passerelle invisible et spontanée droit vers l’Ouest comme s’il s’agissait d’un simple pont de bois pourri à clouter de travers au-dessus d’un étang pour se retrouver de l’autre côté, une paire de lunettes noires sur le nez et les mains enfoncées dans les poches arrières. Et les si froggy « 3 J », Jullien, Jean & Julie, n’ont plus de nom. (Ou alors au choix, comme vous voulez, Jullian, John & Juliett, Juno, Jan & Jelly ou pourquoi pas Jasper, Jacob & Jenny mais ça pourrait tout aussi bien être Javier, Jairo & Juanita, ou Jören, Jonas, & Jakoba, voire Jeevesh, Jagdish & Jayaprada, tout ça n’a plus la moindre importance et à vous de continuer à jouer en famille si vous le souhaitez, après tout les occasions de tuer le temps autour d’une table ne manquent pas…). 

C’est juste Brother Junior et ça vient d’où on veut sauf du cul de l’Hexagone, encore moins du territoire séparatiste comptant un temple du football gondolé comme un gros nombril disgracieux et des Bandes Organisées tout autour: Brother Junior fait plutôt griller des steaks XXL sur des planches de palette, ride accroupi sur des long-boards face à la mer, traîne en baskets dans des Diners, porte sans transition des bonnets maillés, des casquettes tâchées et des Stetson foireux, conduit de vieilles épaves diesel, danse en blue-jeans des trucs maladroits, a les ongles sales mais de belles mains, met des chemises froissées par-dessus des t-shirts repassés, prépare des ragoûts avec des pommes-de-terre, bricole des vélos dans un garage au foutoir réfléchi, porte ses courses dans un sac en kraft, joue très fort sur des amplis très trapus, tape très fort sur des batteries à rhodoïd irisé, chante de très belles harmonies très désespérées dans des micros très puissants, crie très gentiment comme si la vie n’avait vraiment strictement aucun sens, répare des pédales avec des fers à souder, attrape des enfants qui rient par la taille ce qui les fait rire davantage, sourit quand il sourit, ne sourit pas quand il ne sourit pas, a des yeux délavés, se moque de tout en prenant tout très à cœur, rit avec des amis pour oublier son dévorant sentiment de solitude, lève beaucoup trop longtemps le menton vers le ciel de l’après-midi, regarde à la dérobée une femme qu’il aime faire des choses banales, remplit mal des dossiers administratifs avec beaucoup de sérieux, des carnets biscornus de trucs griffonnées au stylo-bille, porte le même sac à dos depuis un temps indéfini, et se sent bizarrement très seul dès qu’il tombe sur des french tv show ou des téléfilms à tension dramatique, et tout aussi bizarrement à sa place partout où des rednecks classieux ou pas, poètes ou pas, crasseux ou pas, costauds ou pas, lui font un signe. Brother Junior est un chercheur d’or australien têtu et éternellement bredouille : il boit le ventre en avant, puis va lire James Joyce. Ou Harry Crews. Ou peut-être qu’il fait une sieste.

Mais bon sang, Brother Junior fait du rock. Et il fait tout seul. Il se démerde, quoi. Sinon, qui d’autre ?    

 

 

Brother Junior, 1er EP : lien écoute

“Buck Up”, nouvel EP 2022 à paraître / lien teaser live

A découvrir sur scène le 20/05/2022 au Moulin : lien info date

 

 1 – The H.O.S.T : 



2 - Lekø :


3 – January Sons :



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